Algérie : vers une coopération mémorielle
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Mémoire courte

Emmanuel Macron se voulait Jupiter, mais semble parfois être Janus. Au Burkina Faso, en novembre dernier, il dénonçait les « crimes de la colonisation ». En décembre en revanche, face à un Algérien qui l’interrogeait sur la colonisation française, il a répondu : « Mais vous n’avez jamais connu la colonisation ! Qu’est-ce que vous venez m’embrouiller avec ça ? Vous, votre génération, elle doit regarder l’avenir ». Ce faisant, il a montré qu’il incarnait une rupture partielle avec les présidents précédents. Le discours selon lequel la colonisation française en Algérie provient du passé et qu’il faut regarder l’avenir est un discours presque aussi vieux que les accords d’Evian, qui selon le général De Gaulle devaient amener un « avenir fécond ».
L’exaspération d’Emmanuel Macron au regard du passé est symptomatique d’une partie de l’intelligensia française qui refuse d’écouter les paroles de part et d’autre de la Méditerranée qui rappellent que la guerre d’Algérie n’est pas si lointaine, et que les plaies qu’elle a engendrées ne sont pas encore refermées.

Le placebo mémoriel

Les débats autour de la guerre d’Algérie sont nombreux, et impliquent plusieurs mémoires, plusieurs groupes : les pieds-noirs, les algériens soutenant le FLN, les harkis rapatriés, mais aussi toutes les personnes qui, algériennes, sont devenues françaises pour des raisons de domination économique. Des générations se sont construites autour de cette mémoire, autour des débats du type « pour ou contre De Gaulle », qui est loin d’être une figure aussi consensuelle que l’actuel Président ne le voudrait. Mais ces débats ont toujours été larvés, cantonnés à deux champs distincts et restreints : le premier est celui de la recherche universitaire, historienne, qui a vocation a déterminer la vérité à partir des archives et des témoignages ; le second est celui des discussions familiales autour des tables où on s’invective, où on ressasse, où on se demande pourquoi les cérémonies ne concerneraient qu’un groupe.
Entre les deux, le champ politique fait défaut. Hormis lorsqu’il cherche, de manière désastreuse, à légiférer sur les « aspects positifs de la colonisation », il reste largement muet. L’avenir, toujours l’avenir. Les quelques cérémonies qui concernent le passé se font exactement comme les cérémonies intra-européennes : des représentants des pays ou des communautés sont invités, un discours est prononcé, une plaque est révélée ; dans ces occasions l’impression d’avoir fait quelque chose masque mal la gêne de n’avoir rien fait qui change véritablement les cœurs et les esprits. La cérémonie commémorative est le placebo du travail de mémoire.

Pour un regard lucide

La guerre d’Algérie n’est pas comme les Guerres mondiales, l’œuvre de deux camps opposés et peu ou prou équivalents. Il s’agit d’une colonisation impliquant une asymétrie des forces en présence, mais aussi un désir de la part du colonisateur de bien faire, qui l’aveugle sur les horreurs commises. L’impossibilité de réconcilier la bénévolence affichée des partisans de la colonisation avec la violence vécue des populations colonisées a mené toute une partie de la classe politique au déni, qui a trouvé sa plus récente expression dans les propos d’Emmanuel Macron. Or, que demande-t-on lorsqu’on demande qu’un travail mémoriel soit fait ? Là est la grande question mémorielle, à laquelle la réponse n’est jamais apportée. Une fois écrits les ouvrages scientifiques, faites les discussions familiales, célébrées les cérémonies, la société semble impuissante. Qu’est-ce qui pourra bien fonctionner ?
Les pratiques internationales nous montrent pourtant la voie. La concurrence des mémoires peut se transformer en coopération, pour peu que la volonté politique s’affirme. Si la guerre d’Algérie a pendant longtemps été traitée comme un conflit civil, en atteste l’ancienne expression « les événements d’Algérie », il faut donc s’attaquer à cette mémoire comme à celle d’un conflit civil. L’Afrique du Sud a su le faire en 1995 en instaurant la Commission vérité et réconciliation (Truth and Reconcilation Commission) chargée d’affronter la mémoire de l’apartheid. Une commission mixte, franco-algérienne, composée d’historien·nes, de juristes, de personnalités politiques, devrait prendre en charge la mémoire franco-algérienne de la colonisation, afin d’effectuer le travail que, jusqu’à présent, nous n’avons eu le courage d’effectuer.