Avec la progression du chômage ces 30 dernières années, la question de la souffrance au travail a longtemps été un tabou. L’accession à la société salariale et la protection sociale qu’elle procure a longtemps été vécu comme une finalité. En effet, difficile de pointer les conditions de travail et leurs impacts sur la santé, quand d’autres n’aspirent qu’à travailler.
Pourtant, plusieurs grands constats remettent en question la centralité du travail dans nos modes de vie et nos valeurs, si bien que les problèmes de santé au travail touchent aujourd’hui toutes les catégories socio-professionnelles et n’épargnent personne :
- Les conditions de travail sont susceptibles de dégrader l’espérance de vie : dans les sociétés occidentales, 33 années d’espérance de vie peuvent séparer ceux qui travaillent dans des conditions favorables de ceux qui travaillent dans les pires conditions [1]
- 100 000 personnes meurent chaque année d’un cancer professionnel, souvent après avoir été exposées à des produits hautement dangereux
- Les maladies liées au stress au travail ne cessent d’augmenter dans notre pays : la France arrive au 3° rang des pays recensant le plus grand nombre de dépression liées au travail[2]
- 22% des salariés sont victimes de comportements hostiles au travail[3]
Les causes de ce mal être sont multiples. En premier lieu, elles tiennent aux divergences d’intérêt entre l’entreprise et ses salariés. Alors que la préservation de la santé physique et mentale est censée être une obligation de résultat pour tout employeur[4], force est de constater que les maladies professionnelles continuent à augmenter (+3,4% en moyenne ces 10 dernières années[5]).
Ensuite, c’est l’incurie des politiques, plombées par les conflits d’intérêt et les lobbys industriels qu’il faut pointer du doigt. Par ex. au niveau européen, au sein du Comité scientifique en matière de limites d’exposition professionnelle, en charge de déterminer les valeurs limites d’exposition à ces produits, 15 membres sur 22 se trouvent en position de conflit d’intérêt[6].
Egalement, et c’est peut-être le plus pernicieux, c’est aussi à notre propre système de croyances et de valeurs que l’on doit nos propres maux[7]. L’exaltation de la performance individuelle et la mise en œuvre de la compétition généralisée sont des comportements nuisibles acceptables.
Mais la souffrance au travail n’est pas une fatalité ! Des solutions existent pour permettre au travail d’entrer dans une nouvelle ère :
- Engager un grand plan de lutte contre la dégradation des conditions de travail et établir un plan anti-stress
- Favoriser les entreprises qui mettent en place des politiques de prévention puis passer d’une logique incitative à une logique contraignante
- Relancer la négociation sur la réduction du temps de travail tout au long de la vie, avec comme objectif les 32 heures de travail
- Mettre en place des mesures simples comme limiter au maximum les horaires décalés et le travail de nuit, qui aggravent les risques cardio-vasculaires
- Etendre les missions des CHSCT à la prévention en santé globale
- Réduire les risques du travail dans la sous-traitance en rendant les donneurs d’ordre co-responsables des accidents du travail et des maladies professionnelles
- Augmenter le nombre de médecins et inspecteurs du travail et mieux former les médecins aux risques professionnels et aux maladies professionnelles
[1] Exposure To Harmful Workplace Practices Could Account For Inequality In Life Spans Across Different Demographic Groups, Joel Goh, Jeffrey Pfeffer and Stefanos Zenios, 2015
[2] Rapport ministériel, Philippe Nasse et Patrick Légeron, 12 mars 2008
[3] Analyse DARES, février 2013
[4] Article L 4121-1 du code du travail
[5] Assurance Maladie, 2014
[6] Le Monde, 24 février 2017)
[7] Souffrance en France, Christophe Dejours